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El Tres de Mayo de Goya : Peinture de la Résistance Espagnole et Réquisitoire Contre la Guerre

Ce 13 démaillot renvoie à la tragédie madrilène du 3 mai 1808, marquée par l'exécution de 43 combattants espagnols dressés contre l'occupation française. 

El Tres de Mayo de Goya : Peinture de la Résistance Espagnole et Réquisitoire Contre la Guerre"

Le massacre a causé une immense émotion en Espagne, mais c'est seulement 6 ans plus tard, en 1814, que Goya réalisera ce tableau en réponse à une commande des autorités à la veille du retour triomphal de Fernando Siete, souverain reconnu par les autres puissances européennes. La noirceur du ciel et l'énormité de la lampe posée au sol rappellent le caractère nocturne de la fusillade.

Le contexte historique des exécutions du 3 mai selon Goya

Soulevées contre l'occupant français durant la journée du 2 mai, les insurgés ont été arrêtés de façon aléatoire dans les heures suivantes, jugés sommairement et conduits devant le peloton d'exécution dans divers quartiers madrilènes à 4 heures du matin. Sans avoir assisté au massacre, Goya a recueilli nombre de témoignages lui ayant permis de reconstituer la scène. Les survivants lui ont notamment appris que les fusillés avaient été capturés pour l'exemple, sans discernement, dans leurs habits quotidiens de travail, et le plus souvent inconscients d'une situation historique dépassant leur entendement.

La représentation du désespoir et de la violence dans l’art de Goya

Ce que le grand peintre espagnol fait valoir par le réalisme saisissant des expressions, terreur et désespoir l'emportent sur tous les visages. De ce point de vue, il est symptomatique que les traits des bourreaux, blocs monolithiques de tueurs en uniforme, nous soient complètement cachés. Sans doute la mécanique imbécile de la guerre interdit-elle aux exécuteurs tout autant qu'aux suppliciés de saisir les inacceptables raisons d'un si terrible châtiment.

Le personnage central comme symbole christique et universel

Le personnage central intrigue, par sa posture en premier lieu, la vigueur de sa rébellion contre la mort imminente, l'ultime protestation qu'il transmet aux âges futurs. Ce n'est pas sans raison que Goya l'a montré à genoux, les bras en croix vêtus de jaune et de blanc, couleur zéraldique de la papauté. La référence au Christ martyr est patante, jusque dans le stigmate qui signale la main droite du condamné, jusque dans la projection sur sa silhouette d'une lumière assimilée à la luxe divine.

Un parallèle entre sacrifice religieux et exécution militaire

Tout comme les soldats romains s'étaient emparés de Jésus, mettant fin à sa destinée terrestre, les militaires français s'apprêtent, en tuant un homme, à universaliser son message. Pas question pour l'artiste, même avec le recul des années, de rendre compte de cette nuit dramatique en usant des ressources ordinaires de la peinture d'histoire. Pour le spectateur confronté à l'œuvre, le plus étonnant reste assurément la brutalité délibérée de la facture et du matériau mis en œuvre.

Techniques picturales : quand Goya anticipe l’expressionnisme

A scènes brutales, traitements brutaux, aussi la touche est telle d'une violence qui doit choquer l'application des couleurs, relevant d'une impétuosité gestuelle qui anticipe de près d'un siècle la grande révolte expressionniste de la fin du XIXe siècle. La palette elle-même refuse tous les artifices de la séduction pour se limiter à une gamme de nuances oscillant de l'ocre au noir, avec de rares rehauts de rouge sanglant, la chemise du personnage central pour unique zone de clarté. Enfin, le matériau lui-même est grumeleux, âpre, raboteux, aux antipodes des recettes imposées par le néoclassicisme ambiant.

Portrait du groupe des condamnés dans "Tres de Mayo”

Le groupe des condamnés Du groupe des condamnés, rien ne transparaît qu'une totale désespérance. Nul héroïsme dans l'attitude des victimes du terrible conflit, nulle trace de révolte ou de défi, seulement la terreur de la mort brutale dont le bruit est la fureur. Des vies misérables s'éteignent, auxquelles la destinée avait sans doute peu offert et dont la tragique inutilité n'est jamais plus manifeste qu'au seuil du néant.

Un rejet radical de la pitié : rupture avec les conventions artistiques

Aucun artiste n'avait si radicalement jusque-là refusé l'insultante consolation de la pitié. 

Reconstruction fidèle de la scène par Goya : réalisme historique

Le choix du réalisme Soustieux de vérités historiques, sans céder à la tentation de l'anecdote, le peintre a reconstitué le triste décor urbain de l'exécution. Ainsi discerne-t-on à l'arrière-plan la silhouette nocturne d'édifices appartenant au patrimoine monumental de la capitale espagnole, appelée à disparaître à l'occasion des grands travaux de rénovation de la cité au XIXe siècle.

Les lieux de l’exécution dans "El Tres de Mayo" de Goya

Le couvent de Doña María de Aragón, le quartier général et la caserne du Prado Nuevo où avaient été retenus les condamnés dans les heures précédant leur supplice. C'est dans la caserne voisine du Camp de Duque qu'avaient été regroupés les soldats de la garde impériale, choisis pour former le peloton d'exécution. Des soldats dont Goya a fidèlement restitué l'équipement sabre long et chacos sans visère, poussant le scrupule jusqu'à les couvrir d'une capote exigée par la chute d'une pluie glaciale.

Symbole de la résistance espagnole : le peuple face à l’envahisseur

Le peuple et l'église Sous la violence brutale d'une lumière crue, les silhouettes des mourants rompent avec toutes les traditions de la peinture de guerre. Au centre, l'homme aux bras ouverts dans un ultime geste de protestation se signale par la blancheur éclatante de sa chemise, symbole d'une innocence qui n'en rend que plus atroce cette scène de mort. Tombant sous les coups de l'envahisseur, il devient l'emblème de la résistance du peuple soulevé contre l'occupant étranger.

L’église catholique et son rôle dans la résistance à Napoléon

Défiant à l'endroit de l'église, mais soucieux de satisfaire ses commanditaires, Goya n'a pas négligé de placer ici un prêtre tonsuré et en robe de burre, le franciscain Francisco Gallego y Davila, seul clair à avoir été fusillé cette nuit-là. Le symbole est fort, l'église ayant joué un rôle capital dans la résistance aux armées napoléoniennes qui, porteuses d'un message républicain, avaient notamment procédé à la fermeture des tribunaux de l'Inquisition et de nombreux couvents. À cette occasion, la hiérarchie catholique avait même demandé à tous les prêtres de prendre les armes et d'appliquer toute forme de pitié ou de pardon à l'endroit des prisonniers de guerre, allant jusqu'à recommander les plus affreux supplices, précisément hérités de l'Inquisition, pour frapper de terreur la soldatesque française.

La vision de Goya entre spiritualité, douleur et universalité

La fraternité féconde l'art de Goya, elle ne le détermine pas. Son génie surgit d'ailleurs du dialogue qui se poursuit depuis les champs sumériens entre la bouche close d'un enfant supplicié et la face millénairement invisible et peut-être inexorable de Dieu. Lui aussi témoigne, de l'autre côté, une interminable procession de douleur s'avance sur fond des âges, vers ces figures atroces, accompagne leur torture de son cœur souterrain.

Conclusion sur "El Tres de Mayo" : une œuvre intemporelle sur l’absurde de la guerre

Par-delà le drame de son pays, cet homme qui n'entend plus veut donner sa voix à tout le silence de la mort La guerre est finie, mais non l'absurde. André Malraux


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